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ouvert la bouche, et le cop[1] aux aguets entendu prononcer les mots bourgeoisie et socialisme, qui revenaient le plus souvent dans nos discours, qu’il était brutalement arraché de l’estrade et accompagné à la voiture cellulaire qui attendait sa proie non loin du lieu du meeting. L’ordre était que, dès qu’un camarade était arrêté, un autre devait immédiatement monter sur la caisse servant d’estrade et continuer le meeting. Les arrestations se suivaient avec une rapidité extraordinaire et quand la Black Maria[2] contenait jusqu’au dernier des propagandistes et que la bataille se trouvait terminée faute de combattants, nous roulions au grand galop vers la prison. La police laissait l’Armée du Salut maître du champ.


II


La réputation de Jack London comme écrivain était déjà faite quand éclata la guerre russo-japonaise. Sa plus récente œuvre, en 1904, était l’Appel de la Forêt (The Call of the Wild). Ce fut le livre le plus lu de la saison, tant aux États-Unis qu’au Canada. Il avait été réimprimé plusieurs fois à des centaines de milliers d’exemplaires, mais cette œuvre mettait en quelque sorte fin au cycle de ce qu’on pourrait appeler ses Nouvelles d’Alaska. En moins de cinq ans London avait exploité jusqu’à l’épuisement toutes les réminiscences personnelles d’une vie brève, mais agitée, d’esclave salarié, de persécuté, d’aventurier sur terre et sur mer. À peine adolescent, quand l’usine lui avait déjà broyé le corps et l’âme, il s’était révolté et avait juré : « Je ne travaillerai jamais plus.  » Par réaction, il s’était fait vagabond et avec les « hobos  » américains, il avait parcouru, couché sur les axes des wagons de chemin de fer, l’Amérique de long en large. La bourgeoisie américaine lui avait bien vite fait payer par la prison son amour pour la liberté physique illimitée. Revenu à San Francisco, après sa sortie de prison, il s’était mis deux choses en tête : lire sans fin et… écrire.

  1. Policeman
  2. Marie la noire, nom donné à la voiture cellulaire peinte en noir.