Page:Peluso – Souvenirs sur Jack London, paru dans Commune, 1934.djvu/3

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’un jeune journaliste conscient de remplir une grande mission. Il était, en effet, convaincu que le premier grand massacre impérialiste sur les rives du Pacifique allait lui donner l’occasion de reporter en traits magistraux le choc entre les deux capitalismes luttant pour la suprématie en Mandchourie. Cependant, une fois arrivé au camp japonais il avait dû rapidement se rendre compte qu’il n’en serait rien. En effet, l’état-major japonais avait bien lu ses recommandations, l’avait accueilli avec le cérémonial de politesse habituel, mais au lieu de le transporter au front, l’avait tenu, dès le premier moment, prisonnier en quelque sorte bien loin des lieux où se déployait l’offensive contre l’armée tzariste. Au bout de quelques semaines, quand il se fut aperçu que malgré ses protestations, et celles de Hearst, il n’arrivait pas à voir la ligne de combat et que les militaristes japonais se moquaient poliment de lui, il les envoya au diable et retourna à San Francisco. Cette fois, plus que jamais, il était chargé de haine contre les « Japs ».

À cette réunion de la section, il nous racontait ses mésaventures. Il semblait prendre plaisir à décrire l’astuce de ces « petits bouts d’hommes  » — comme il les appelait — et lançait de fortes invectives contre eux. Mais sa colère ne se déchargeait pas uniquement contre l’État-Major japonais ; c’était contre la « race » toute entière qu’il jurait furieusement. Les quelques camarades présents se trouvaient quelque peu déconcertés. La lutte contre la haine de race, spécialement contre la « haine des jaunes  » était une des activités quotidiennes des sections socialistes de la Côte du Pacifique, et on ne comprenait pas qu’un des membres les plus en vue de la section, comme Jack London, fit montre de chauvinisme blanc. Croyant l’avoir mal compris, quelqu’un lui parla alors des classes qui existaient au Japon, comme ailleurs. Un autre camarade se hasarda à lui montrer la devise qui pendait au mur, au-dessus du portrait de Marx : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » Mais cela, au lieu de le faire se rétracter, accroissait sa colère.

« Les militaristes japonais ont fait de Jack un chauviniste », s’exclama débonnairement le secrétaire de la section socialiste quand Jack fut sorti. Mais ni lui, ni personne, n’aurait songé à demander une sanction contre Jack. Il en fallait bien plus alors pour être exclus du parti ! D’ailleurs