pliquent rien ; il est clair que, le plus souvent, les hommes ont été les jouets de causes générales.
Les idées sociales ne dépendent pas seulement des conditions de l’économie, des événements historiques et de l’intervention de certains inventeurs[1] ; elles dépendent aussi des lois inéluctables de notre esprit, qui leur imposent un certain rythme, à peu près constant, de développement. Il y a déjà longtemps que j’appelle[2] l’attention sur l’importance des thèses que Vico a présentées à propos des suites et des recommencements : toujours l’esprit passe de l’instinctif à l’intellectuel, de l’empirisme à la connaissance raisonnée, de la passion au droit ; et au bout d’un certain temps il y a recommencement par régénération des états psychologiques primitifs. On est loin de connaître exactement toutes les suites qui intéressent l’histoire : Engels a signalé dans le socialisme moderne une très curieuse transformation qu’il a appelée un passage de l’utopie à la science[3], mais qu’il n’a pas analysée d’une manière très approfondie.
L’histoire nous montre que l’homme est éternellement dupe d’une illusion qui lui fait croire qu’il augmente sa force d’action sur le monde et peut atteindre le principe mystérieux du devenir des choses en se plaçant en dehors de la réalité, construisant des thèses unitaires, absolues, idéales : quand il veut rejoindre le réel, il se heurte à des impossibilités, qui l’amènent à transformer ses conceptions ou, tout au moins, à cantonner son idéal, de manière à
- ↑ Nous n’avons pas à nous occuper de la filiation des idées entre divers auteurs ; ce sujet n’a qu’une très mince importance ici ; nous nous occupons seulement de ce qui est devenu collectif.
- ↑ Devenir social, novembre 1896, p. 911. — Cf. Ribot, Psychologie des sentiments et Essai sur l’imagination créatrice, notamment p. 144 (Alcan, éditeur).
- ↑ Engels, Religion, philosophie, socialisme, pp. 101, 122 (Jacques, éditeur).