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et ceux-là étaient plus communs encore. Ne sait-on pas tout ce que Marmontel et Rulhierre, pour n’en point citer d’autres, durent à leurs belles amies ? Chez Chamfort nous ne voyons pas non plus trace de cette rouerie, de ces perfidies méchantes avec les femmes, que la mode autorisa et recommanda même vers ce temps. « Je n’ai pas toujours été aussi Céladon que vous me voyez, dit-il quelque part. Si je vous comptais trois ou quatre traits de ma jeunesse, vous verriez que cela n’est pas trop honnête, et que cela appartient à la meilleure compagnie[1]. » Mais ne prenons point cela pour un aveu ; il a voulu seulement, en parlant ainsi, se donner une occasion de lancer une épigramme contre les gens du bel air. « Dans ma jeunesse, dit-il, ailleurs, j’aimais à intéresser, j’aimais peu à séduire, et j’ai toujours détesté de corrompre »[2]. C’est ici qu’il est sincère. Emporté par l’ardeur de ses sens, il se peut qu’il n’eût pas grand respect pour les femmes et ne trouvât de bon en elles que ce qu’elles ont de meilleur. Mais pourtant il n’avait de mépris ni pour les femmes, ni pour l’amour. Le libertinage, qui ruina sa santé, ne le rendit pas incapable de tendresse. « Un jeune homme sensible et portant l’honnêteté dans l’amour était bafoué par des libertins qui se moquaient de sa tournure sentimentale. Il leur répondit avec naïveté : Est-ce ma faute à moi si j’aime mieux les femmes que j’aime que les femmes que

  1. Éd. Auguis, I, 411.
  2. Éd. Auguis, II, 95.