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son premier biographe, l’irrégularité de sa naissance influa sur son caractère : « Rien de plus douloureux, dit Ginguené, pour un jeune homme à qui la nature a donné de l’élévation et de l’énergie, que de se sentir défavorablement classé dans l’opinion. Il en résulte trop souvent pour lui le malheur de jeter sur la société un coup d’œil amer[1]. » Ce n’est point par là, pourtant, croyons-nous, que Chamfort eut surtout à souffrir de sa bâtardise ; elle ne fut, comme nous savons, révélée qu’à quelques-uns ; de plus, eût-elle été connue, l’exemple de d’Alembert, de Delille, de Mlle de l’Espinasse, nous montre assez que la société du xviiie siècle n’avait point de rigueurs pour les enfants naturels. Mais il ne connut ni sa mère véritable, ni son père : n’est-ce point une cause suffisante de tristesse pour une âme bien née ? Ses vrais parents l’abandonnèrent, ou du moins ne l’avouèrent pas ; ils se crurent contraints, par leur situation, de s’écarter de lui et d’en rougir ; et cette conduite put très tôt lui faire directement et cruellement sentir ce qu’il y avait d’immoralité et d’égoïsme lâche chez les représentants des classes privilégiées. Lorsqu’il fit plus tard de si âpres satires du clergé et du patriciat, il n’oublia pas que dès le premier jour il en avait été la victime.

Il était tout jeune encore lorsqu’on l’éloigna de Clermont. À la recommandation de Morabin, docteur de Navarre, un ami probablement du chanoine Nicolas, une bourse lui fut accordée au

  1. Notice en tête des Œuvres de Chamfort. (Paris, an III, 4 vol.  in-8o.)