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CHAMFORT

CHAPITRE II

CHAMFORT OBSERVATEUR ET MORALISTE.


C’est au cours des années que nous venons de parcourir (1780-1788), que Chamfort trouva enfin la direction et l’emploi qui convenaient à son activité et à son talent. Il a alors vécu dans la retraite, ou, du moins, lorsqu’il s’est mêlé au monde, il y a porté avec lui, suivant le mot de Schopenhauer, une partie de sa solitude. Il a cessé de se flatter que la société de son temps voulût jamais lui confier un de ces rôles qui sont réservés aux privilégiés de la naissance, et que quelques favoris d’un jour n’ont pu jouer parfois que grâce à un coup de fortune. En même temps, il renonce à produire pour le public, au moins sous son nom, et, affranchi des conventions et des formules en cours, il n’écrit plus ce qu’il voit, ce qu’il sent, ce qu’il pense, que sur de petits carrés de papier, aussitôt enfouis pêle-mêle dans des cartons, dont plusieurs, nous dit Ginguené, « se trouvèrent remplis au jour de sa mort ».

Il est certain, nous le savons par une anecdote qu’il a pris soin de dater lui-même, que, dès 1780[1], il commençait à recueillir, au jour le jour, les

  1. Ed. Auguis, II, 30.