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RELIGION

Ce Dieu, dont le catholicisme fait un « tyran », il cherche en lui le père de ses créatures, et, s’il n’est pas chrétien, c’est pour l’aimer de ce véritable amour qui se traduit par la pratique de sa loi.

Niant, comme nous l’avons vu, la Providence partieculière, il ne saurait donc admettre qu’on prie. Dieu a ses desseins, qui sont éternels. Le prier, c’est lui demander ou quelque chose de conforme à sa volonté immuable ou quelque chose de contraire à cette volonté ; dans le premier cas, la prière est inutile ; dans le second, elle est absurde, elle est aussi blasphématoire. Mais, d’autre part, Dieu ne peut agir que justement. On n’a donc pas besoin de lui demander ce qui est juste, car il l’accomplira sans qu’on le lui demande ; et, en lui demandant ce qui est injuste, on outrage sa justice[1]. Prier l’Être suprême, c’est le rabaisser au rang d’un maître déraisonnable et inique. La véritable prière consiste dans la soumission[2].

    allons même jusqu’à sentir quelquefois de la vénération, de l’amitié pour l’auteur ; et, s’il était là, nous l’embrasserions. C’est à peu près la seule manière dont nous puissions expliquer notre profonde admiration et les élans de notre cœur envers l’éternel architecte du monde. Nous voyons l’ouvrage avec un étonnement mêlé de respect et d’anéantissement, et notre cœur s’élève autant qu’il peut vers l’ouvrier » (XXVI, 271).

  1. Dict. phil., Prières, XXXI, 517.
  2. Cf. Dialogue entre un Brachmane et un Jésuite : « Le Brachmane. L’ordre établi par une main éternelle et toute puissante doit subsister à jamais. — Le Jésuite. À vous entendre, il ne faudrait donc point prier Dieu ? — Le Brachmane. Il faut l’adorer. Mais qu’entendez-vous par le prier ? — Le Jésuite. Ce que tout le monde entend ; qu’il favorise nos désirs, qu’il satisfasse à nos besoins. — Le Brachmane. Je vous comprends. Vous voulez qu’un jardinier obtienne du soleil à l’heure que Dieu a destinée de toute éternité pour la pluie, et qu’un pilote ait un vent d’Est lorsqu’il faut qu’un vent d’Occident rafraichisse la terre et les mers. Mon père, prier, c’est se soumettre » (XXXIX, 587). — Cf.