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MÉTAPHYSIQUE ET PHYSIQUE

31), qu’« on ne peut guère y répondre que par une éloquence vague » (Ibid., 34). Vingt ans plus tard, dans le Philosophe ignorant, paru en 1766, il se déclarait converti au fatalisme et en prenait catégoriquement la défense. « L’ignorant qui pense ainsi n’a pas toujours, disait-il, pensé de même ; mais enfin il est forcé de se rendre » (XLII, 551).

Lorsque Voltaire publia le Philosophe ignorant, il s’était depuis longtemps rendu. Le 26 janvier 1749, il écrit à Frédéric : « J’ai relu ici ce petit morceau très philosophique[1] ; il fait trembler. Plus j’y pense, plus je reviens à l’avis de Votre Majesté. J’avais grande envie que nous fussions libres, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour le croire. L’expérience et la raison me convainquent que nous sommes des machines faites pour aller un certain temps et comme il plaît à Dieu. » Dès lors Voltaire combat la liberté. Il la combat dans le Dictionnaire philosophique en reproduisant à peu près l’argumentation de Locke et en y ajoutant de nouveaux exemples, sinon de nouvelles preuves[2] ; il la combat encore dans le Philosophe ignorant, où il réfute ses arguments de jadis et allègue les lois physiques, auxquelles les hommes sont soumis comme les bêtes[3]. La liberté consiste-t-elle dans le pouvoir

  1. Les lettres de Frédéric lui-même contre le libre arbitre.
  2. Franc arbitre, XXIX,. 504 sqq., Liberté, XXXI, 13 sqq. — Cf. encore Il faut prendre un parti, XLVII, 93 sqq.
  3. « Il n’y a rien sans cause… Toutes les fois que je veux, ce ne peut être qu’en vertu de mon jugement bon ou mauvais ; ce jugement est nécessaire, donc ma volonté l’est aussi. En effet, il serait bien singulier que toute la nature, tous les astres obéissent à des lois éternelles, et qu’il y eût un petit animal haut de cinq pieds qui, au mépris de ces lois, pût agir toujours comme il lui plairait au seul gré de son caprice… Mes idées entrent nécessairement dans mon cerveau ; comment ma volonté, qui