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MÉTAPHYSIQUE ET PHYSIQUE

être à part, son essence consisterait dans la pensée. Et voilà pourquoi les spiritualistes doivent soutenir que l’âme pense toujours. Mais pense-t-on lorsqu’on est évanoui ou lorsqu’on dort d’un profond sommeil[1] ?

Enfin ce qui montre que l’âme ne se distingue pas du corps, c’est qu’elle en suit les dispositions. Voici, par exemple, un fou. Dirons-nous que son âme est malade ? Non, nous ne dirons pas une telle absurdité. Reste donc que son corps le soit. Un goutteux souffre aux pieds et aux mains : or, on peut avoir la goutte au cerveau comme aux mains et aux pieds. Le fou est un malade dont le cerveau pâtit. Et comment croirions-nous l’âme faite d’une autre essence que le corps, si les maladies du corps la rendent elle-même malade[2] ?

Nier la spiritualité de l’âme, ce n’est point, au surplus, nier son immortalité, car l’immortalité peut « être attachée tout aussi bien à la matière, que nous ne connaissons pas, qu’à l’esprit, que nous connaissons encore moins » (Lettre à Formont, avr. 1733 ; LI, 370)[3]. Mais pourtant notre raison ne saurait affirmer que l’âme soit immortelle. Au point de vue purement spéculatif et en dehors de toute considération morale

  1. Traité de Métaphysique, XXXVII, 314.
  2. Dict. phil., Folie, XXIX, 447 sqq. — Cf. Lettre à Cideville, 10 mai 1764 : « Je suis d’une faiblesse extrême… ; et mon âme, que j’appelle Lisette, est très mal à son aise dans son corps cacochyme. Je dis quelquefois à Lisette : Allons donc, soyez donc gaie comme la Lisette de mon ami. Elle répond qu’elle n’en peut rien faire, et qu’il faut que le corps soit à son aise pour qu’elle y soit aussi. Fi donc ! Lisette, lui dis-je ; si vous me tenez de ces discours-là, on vous croira matérielle. Ce n’est pas ma faute, a répondu Lisette ; j’avoue ma misère, et je ne me vante point d’être ce que je ne suis pas. »
  3. Cf. Dict. phil., Locke, XXXI, 48.