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MÉTAPHYSIQUE ET PHYSIQUE

La question est de celles qui dépassent notre intelligence[1]. « Quand nous voulons connaître grossièrement un morceau de métal, nous le mettons au feu d’un creuset. Mais avons-nous un creuset pour y mettre l’âme ? Elle est esprit, dit l’un. Mais qu’est-ce qu’esprit ? Personne assurément n’en sait rien ; c’est un mot si vide de sens qu’on est obligé de dire ce que l’esprit n’est pas, ne pouvant dire ce qu’il est. L’âme est matière, dit l’autre. Mais qu’est-ce que matière ? Nous n’en connaissons que quelques apparences et quelques propriétés, et nulle de ces propriétés, nulle de ces apparences, ne parait avoir le moindre rapport avec la pensée » (Dict. phil., Âme, XXVI, 204). La physique ne nous apprend pas en quoi consistent le son, la lumière, l’espace, le corps, le temps : comment aurions-nous plus de notions sur le pouvoir de comprendre et de sentir ? Les philosophes qui prétendent en avoir sont des aveugles pleins de témérité et de babil[2]. Voltaire, pour son compte, se contente de réfuter ce qui, dans leurs théories, lui semble inacceptable à la raison.

D’abord, l’âme peut être matérielle. Il ne faut jamais attribuer à une cause inconnue ce qui s’explique aussi bien par une cause connue. Pourquoi n’attribuerions-nous pas à la matière la faculté de sentir et la faculté de penser ? Nous serons traités d’impies ! Qu’importe ? Les véritables impies sont plutôt ceux qui veulent borner arbitrairement la puissance divine en prétendant que, si l’Être suprême a donné aux corps la gravitation par exemple ou la

  1. Cf. p. 7 et 8.
  2. Dict. phil., Âme, XXVI, 228.