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VOLTAIRE PHILOSOPHE

Il y a du mal : comment peut-on concilier ce mal avec l’existence de Dieu ?

Les manichéens résolvent le problème en admettant un mauvais Génie qui partage le pouvoir suprême avec un Génie bienfaisant. Mais pourquoi ce mauvais Génie n’attaquerait-il pas son adversaire dans tous les mondes dont est rempli l’espace et s’ingénierait-il à tourmenter quelques faibles animaux sur notre chétive planète ? Les deux principes de Zoroastre et de Manès ressemblent aux deux médecins de Molière qui se disent l’un à l’autre : « Passez-moi l’émétique et je vous passerai la saignée[1]. »

Ce qui peut expliquer le mal, c’est que la toute-puissance elle-même a des bornes. Dieu ne saurait par exemple faire que les vents, indispensables pour balayer la terre et pour empêcher les eaux de croupir, ne produisissent pas des tempêtes et des orages. Nous mourons ? il lui était impossible de créer des animaux qui vécussent toujours. Nous avons des passions d’où naissent les querelles, les fraudes, les meurtres ? il lui était impossible de créer des animaux qui pussent rechercher leur bien sans le désirer. Dieu ne pouvait sans doute former l’univers que dans les conditions suivant lesquelles il le forma[2]. Ce que peut faire un être tout-puissant, il le fit. Sa toute-puissance elle-même avait pour borne la raison, qui, comme la toute-puissance, est un attribut nécessaire de l’Être suprême.

Voltaire a souvent combattu soit l’optimisme, soit le pessimisme. Le pessimisme détruit en nous toute

  1. Cf. Homélie sur l’Athéisme, XLIII, 234 ; Dict. phil., Dieu, XXVIII, 360, Puissance, XXXII, 27 sqq.
  2. Dial. d’Évhémère, L, 160.