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VOLTAIRE PHILOSOPHE

retrace éloquemment les misères du genre humain. Nier le mal peut convenir à un Lucullus bien portant, qui soupe avec ses amis et sa maîtresse ; mais que ce Lucullus « mette la tête à la fenêtre, il verra des malheureux ; qu’il ait la fièvre, il le sera » (Dict. phil., Bien, Tout est bien, XXVII, 354). Si, même alors, Voltaire atténue en certains cas le mal et exagère le bien, c’est que, combattant les athées, il veut affaiblir un de leurs principaux arguments contre l’existence de Dieu[1].

Quand il réfutait l’optimisme de Leibniz, quand il faisait Candide, il n’avait point, pour son compte, à se plaindre de la vie. En le remerciant de lui avoir envoyé son poème sur le Désastre de Lisbonne, Rousseau lui reprocha de prendre plaisir à désespérer les hommes. Plus tard, dans ses Confessions, il rappelle cette lettre non sans le traiter de déclamateur, et il se compare à lui pour en tirer avantage d’une part, un misérable qui trouve que tout est bien ; de l’autre, un homme « accablé de prospérités et de gloire » qui dénonce amèrement les maux de l’existence humaine[2]. Étrange accusation ! Voltaire y avait répondu par avance en écrivant à d’Argental, le 1er décembre 1755 : « Il n’est pas permis à un particulier de songer à soi dans une désolation si générale », et à Thiériot, le 27 mai de l’année suivante : « Quand j’ai parlé en vers des malheurs des humains mes confrères, c’est par pure générosité, car… je suis si heureux que j’en ai honte[3]. » À l’égard de Can-

  1. Cf. par exemple l’Histoire de Jenni, XXXIV, 306 sqq.
  2. Partie II, livre IX.
  3. Cf. Lettre à Mme du Deffand, 5 mai 1756 : « Pourquoi Jupiter a-t-il fait ce tonneau [le tonneau du mal] aussi énorme que