Page:Pellissier - Voltaire philosophe, 1908.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
VOLTAIRE PHILOSOPHE

Loin que Dieu envisage particulièrement tel ou tel homme, l’humanité entière compte à ses yeux pour bien peu de chose ; car elle est moindre qu’une petite fourmilière en comparaison de tout ce qui peuple l’infini. Du reste chaque intervention particulière de la Providence constituerait un miracle. Or les miracles sont impossibles ; ils le sont à Dieu lui-même, ils le sont à Dieu surtout. À Dieu lui-même, malgré son pouvoir ; à Dieu surtout, parce que l’Être infiniment sage ne fait pas ses lois pour les violer[1].

S’il y a une Providence, comment peut-il y avoir du mal ? Voltaire ne nie point la difficulté de ce problème. C’est là, dit-il, « un abîme dont personne n’a pu voir le fond » (Dict. phil., Bien, XXVIX, 355); et lui-même qualifie de fatale, de terrible, l’objection que le mal fournit aux athées[2].

On peut sans doute prétendre que tout est bien. Voltaire en a eu parfois quelque velléité. Il montre alors, comme les optimistes, que ce qui paraît mal, vu à part, peut être bien dans l’arrangement général des choses[3]. En tout cas le bien, remarque-t-il, l’emporte sur le mal. Et comment y contredire ? Ne voit-on pas que les vols et les assassinats sont rares, que les pestes et les cataclysmes sont exceptionnels, que les guerres, sur cent millions d’Européens, en font périr chaque siècle quelques milliers à peine ? Ce qui nous trompe, c’est d’abord l’histoire, parce qu’elle est remplie de calamités, parce que, se bornant à retracer les crimes ou les infortunes des individus et des peuples, elle passe sous silence leur état ordi-

  1. Cf. Dict. phil., Miracles, XXXI, 206.
  2. Ibid., Dieu, XXVIII, 385.
  3. Cf. par exemple Élém. de la Philos. de Newton, XXXVII, 17.