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VOLTAIRE PHILOSOPHE

216)[1]. Rien de mieux ; c’est la méthode du véritable savant. En physique comme en métaphysique, Voltaire refuse de croire sans preuves. Beaucoup de ses contemporains étaient convaincus « qu’une sole engendre une grenouille » : ne pouvait-il témoigner quelque méfiance ? Une femme pauvre et hardie avait persuadé à des chirurgiens de Londres qu’elle accouchait tous les huit jours d’un lapereau[2] : le désapprouverons-nous de se montrer moins crédule que ces chirurgiens ? Si l’histoire des lapereaux avait été reconnu dûment authentique, il lui aurait bien fallu l’admettre. Mais blâmera-t-on ceux qui ne se rendent que sur des preuves ? Voltaire en demande avant de croire aux anguilles de Needham et aux lapereaux.

Allons plus loin : des assertions manifestement fausses ne méritent même pas l’examen. Suffira-t-il de hasarder quelque hypothèse absurde pour que les savants perdent leur temps à en montrer l’absurdité ? Une sole ne saurait engendrer une grenouille.

Cependant Voltaire examina, avant d’y refuser sa créance, les hypothèses des Maillet et des Needham. Il commence toujours par discuter les raisons qu’on allègue, par vérifier les observations ou les expériences sur lesquelles on s’appuie[3] ; il est trop scep-

  1. Cf. Lettre à M. de la Sauvagère, 25 oct. 1776, édition Moland, L, 112.
  2. Singularités de la Nature, XLIV, 272 sqq.
  3. Le physicien André Leduc, voulant prouver à Voltaire que Moïse avait dit la vérité sur les grandes questions géologiques, offrit de lui apprendre la géologie. Il déclina l’offre en alléguant sa santé et son âge ; de quoi s’autorise Leduc, dans ses Lettres sur l’Histoire physique de la Terre, pour déclarer que Voltaire n’avait point l’esprit philosophique. — En admettant l’authenticité de cette anecdote, il faudrait seulement se