Voltaire ne loue guère moins Bayle que Locke. Sans doute il lui reproche de ne savoir en physique presque rien ; mais il vante son « excellente manière de raisonner », il l’appelle un « dialecticien admirable » (Catal. des Écriv. franç. du Siècle de Louis XIV, XIX, 56) « le premier des philosophes sceptiques » (Lettre sur les Français, XLIII, 517), « l’immortel Bayle, honneur de la nature humaine » (Dict. phil., Philosophe, XXXI, 396)[1]. Il lui sait gré principalement d’avoir montré « le faux de tant de systèmes » aussi vains qu’ingénieux (Ibid., Bayle, XXVII, 309)[2] ; par là, Bayle devançait et préparait la révolution intellectuelle et morale qui substitua la critique à la foi, le sens propre à l’autorité et à la tradition. Aussi Voltaire le met parmi ses « saints » (Lettre à Marmontel, 21 mai 1764), et il veut que les philosophes du xviiie siècle le tiennent pour leur père[3].
Ne pas faire de systèmes, mais étudier directement la nature, voilà ce que Voltaire demande à la philo-
- ↑ Cf. Lettre à Mme Bruyère de Lavaisse, 13 déc. 1763, édition Moland, L, 433 : « Vous avez de grands droits à mes hommages par l’immortel Bayle, dont vous êtes parente. »
- ↑ Cf. Désastre de Lisbonne :
J’abandonne Platon, je rejette Épicure ;
Bayle en sait plus qu’eux tous ; je vais le consulter.
La balance à la main, Bayle enseigne à douter.
Assez sage, assez grand pour être sans système,
Il les a tous détruits et se combat lui-même.(XII, 199.) - ↑ « Ah ! monstres,… quel despotisme affreux vous exercez si vous avez contraint mon frère à parler ainsi de notre père ! » (Lettre à d’Argental, 2 oct. 1764).
a trois âmes, etc. Mais aussi il avoue l’ignorance éternelle de l’homme sur les premiers principes des choses, et c’est beaucoup pour un philosophe (Ibid., 242).