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VOLTAIRE PHILOSOPHE

autres nations » (Siècle de Louis XIV, XX, 338), et lui-même se mit à leur école[1].

N’exagérons pourtant pas l’influence de la philosophie anglaise sur Voltaire. En tout cas, si, comme philosophe, il eut pour objet essentiel d’émanciper l’intelligence et la conscience humaines, notons que les Bolingbroke, les Collins, les Toland, les Woolston, les Shaftesbury, à l’exemple desquels il mena chez nous la lutte de la libre pensée contre la foi, s’étaient eux-mêmes inspirés de nos philosophes, et que les « libertins » de France précédèrent les free thinkers d’Angleterre[2]. Aussi bien, sans compter Montaigne, à qui il doit beaucoup, et Gassendi, dont il appréciait fort la sagesse[3], son premier guide fut Bayle, ce « maître à douter » de tout le xviiie siècle.

  1. Nous n’avons que depuis trente ans appris un peu de bonne philosophie des Anglais » (Lettre à Mme du Deffand, 13 oct. 1759). — « Je ne puis assez bénir Dieu de la résolution que vous prenez de combattre vous-même pour la religion chrétienne dans un temps où tout le monde l’attaque et se moque d’elle ouvertement. C’est la fatale philosophie des Anglais qui a commencé tout le mal », etc. (Lettre à Helvétius, 25 août 1763). — « Je conviens que la philosophie s’est beaucoup perfectionnée dans ce siècle. Mais à qui le devons-nous ? Aux Anglais. Ils nous ont appris à raisonner hardiment » (Lettre à Marmontel, 1er nov. 1769).
  2. L’Épître de Voltaire intitulée Le Pour et le Contre, qui contient déjà en germe toute sa polémique contre la religion chrétienne, est antérieure, et probablement de plusieurs années, à son séjour en Angleterre.
  3. [Gassendi] « eut moins de réputation que Descartes parce qu’il était plus raisonnable et qu’il n’était pas inventeur » (Catal. des Écriv. franç. du Siècle de Louis XIV, XIX, 116).

    L’incertain Gassendi, ce bon prêtre de Digne,
    Ne pouvait du Breton [Descartes] souffrir l’audace insigne.
    Il proposait à Dieu ses atomes crochus
    Quoique passés de mode et dès longtemps déchus.
    Mais il ne disait rien sur l’essence suprême.

    (Les Systèmes, XIV, 245.)

    Et, en note : « Gassendi… ne s’éloigne pas de penser que l’homme