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MÉTAPHYSIQUE ET PHYSIQUE

étudiant les mathématiques, et sa vue porta aux bornes du monde[1].

Voltaire a souvent parlé de Newton, soit pour propager ses découvertes, comme dans les Lettres philosophiques, soit pour célébrer sa gloire, comme dans une épître fameuse à Mme du Châtelet. Ce dont il le loue principalement, c’est de ne faire aucun système[2]. Aussi réprouve-t-il le terme de newtonien, car « la vérité n’a pas de nom de parti » (Lettre à Clairaut, 27 août 1759). Sur les problèmes insolubles que tant de métaphysiciens résolvent chacun à sa façon, Newton ne se prononçait pas[3]. À la supériorité de son esprit, il alliait une que n’eurent ni les Spinoza ni les Leibniz.

C’est aussi cette sagesse que Voltaire estime dans Locke. On croit le discréditer en alléguant qu’il appelle John Locke son grand homme[4]. Mais que veut-il dire par là ? Entend-il que Locke avait du génie ? Il entend plutôt le contraire. Chez un philosophe, ce qu’on nomme de ce nom est, aux yeux de Voltaire, un don funeste, le don d’imaginer hors des

  1. Dict. phil., Fanatisme, XXIX, 337, Newton et Descartes, XXXI, 275.
  2. « Newton n’a jamais fait de système ; il a vu, il a fait voir, mais il n’a pas mis ses imaginations à la place de la vérité » (Lettre à M. L. C., 23 déc. 1768).
  3. « Si l’on veut savoir ce que Newton pensait sur l’âme et sur la manière dont elle opère, et lequel de tous ces sentiments il embrassait, je répondrai qu’il n’en suivait aucun. Que savait donc sur cette matière celui qui avait soumis l’infini au calcul et qui avait découvert les lois de la pesanteur ? Il savait douter » (Élém. de la Philos. de Newton, XXXVIII, 50).
  4. « Un esprit léger et peu puissant, qui ne pénètre en leur fond ni les grandes questions ni les grandes doctrines…, et dont le grand homme est John Locke » (É. Faguet, Dix-huitième siècle, p. 232).