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VOLTAIRE PHILOSOPHE

Sans doute Voltaire reconnaît ce qu’il y a chez Bacon de superstitieux ou d’illusoire, et sait fort bien que sa méthode elle-même se ressent des préjugés contemporains. Mais, quelques restes de scolastique chez ce grand novateur ne l’empêchent pas d’avoir établi le premier la nécessité de l’observation et de l’expérience dans la recherche scientifique. Il « ouvrit une carrière toute nouvelle à la philosophie » (Essai sur les Mœurs, XVIII, 287), en la débarrassant des quiddités, des formes substantielles et de « tous ces mots que non seulement l’ignorance rendait respectables, mais qu’un mélange ridicule avec la religion avait rendus sacrés » (Lettres philos., XXXVII, 172). Il montra que notre seul moyen de connaître et de comprendre, c’est l’étude des faits, et que, pour maîtriser la nature, nous devons lui obéir.

Quant à Newton, Voltaire l’appelle, « le plus grand homme qui ait jamais été, mais le plus grand de façon que les géants de l’antiquité sont auprès de lui des enfants qui jouent à la fossette » (Lettre à d’Olivet, 18 oct. 1736). Pourtant cet homme extraordinaire a eu ses aberrations. Ne s’avisa-t-il pas de commenter l’Apocalypse ? Il payait ainsi son tribut à la faiblesse humaine ; ou peut-être voulut-il consoler les autres hommes de sa supériorité sur eux. Et ce n’est pas seulement comme théologien qu’il se rendit ridicule ; métaphysicien, la dernière partie de ses Principes mathématiques rivalise d’obscurité avec l’Apocalypse elle-même. Mais si, en faisant de la métaphysique ou de la théologie, Newton ressemble aux gladiateurs qui combattaient les yeux couverts d’un bandeau, il se débarrassa de ce bandeau en