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MÉTAPHYSIQUE ET PHYSIQUE

Voltaire prend la peine de réfuter la théorie des monades, que Newton, Locke et Clarke se contentèrent de tourner en ridicule[1]. Ailleurs, lui-même fait comme eux. « Voilà Joseph-Godefroi Leibniz, écrit-il par exemple à S’Gravesande, qui a découvert que la matière est un assemblage de monades. Soit ; je ne le comprends pas, ni lui non plus » (1er juin 1741).

Et que dire de l’harmonie préétablie ? Peut-on soutenir sérieusement que l’âme n’a aucun commerce avec le corps, que ce sont comme deux horloges faites par Dieu « en correspondance », dont l’une montre les heures et l’autre les sonne ? Ainsi, quand Virgile composait l’Énéide, sa main l’écrivait sans obéir à son âme ? Dieu avait réglé de tout temps que l’âme de Virgile ferait des vers et qu’une main attachée au corps de Virgile mettrait ces vers par écrit ? Voilà pourtant ce que Leibniz veut nous faire croire[2]. Pourquoi ne sut-il pas ignorer ? Mieux valait reconnaître son ignorance que d’imaginer des chimères. L’inventeur de l’harmonie préétablie et des monades est, en propres termes, un charlatan[3].

Les seuls philosophes que Voltaire estime, qu’il trouve utiles au genre humain, ce sont ceux qui se mettent en garde contre l’esprit de système, qui ne substituent pas aux faits des constructions abstraites ; c’est Bacon d’abord, puis Newton, et surtout Locke.

  1. Élém. de la Philos. de Newton, XXXVIII, 60.
  2. Ibid., id., 46, 47.
  3. « Que dites-vous de la collection des ouvrages de Leibniz ? Ne trouvez-vous pas que cet homme était un charlatan et le Gascon de l’Allemagne ? » (Lettre à d’Alembert, 23 déc. 1768). — « Je suis fâché pour Leibniz, qui sûrement était un grand génie, qu’il ait été un peu charlatan » (Lettre à Condorcet, 1er sept. 1772).