Page:Pellissier - Voltaire philosophe, 1908.djvu/34

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
MÉTAPHYSIQUE ET PHYSIQUE

système que tout est en Dieu, tous les lecteurs dirent que le commentaire est plus obscur que le texte. Enfin, en creusant cet abîme, la tête lui tourna. Il eut des conversations avec le Verbe ; il sut ce que le Verbe a fait dans les autres planètes ; il devint tout à fait fou ». (Dict. phil., Idée, XXX, 268)[1]. Certes Voltaire ne lui refuse pas, non plus qu’à Descartes, le titre de grand homme ; mais, comme Descartes, Malebranche est « un grand homme avec lequel on apprend bien peu de chose ». (Catal. des Écriv. franç. du Siècle de Louis XIV, XIX, 155). Il l’appelle celui des métaphysiciens « qui a paru s’égarer de la façon la plus sublime » (Traité de Métaph., XXXVII, 302).

Comme les autres constructeurs de systèmes philosophiques, Malebranche ignorait et dédaignait la nature. Mais, il avait beau qualifier de puérile l'occupation des savants qui étudient un insecte ou une plante : ces recherches, méprisées par les métaphysiciens, constatent au moins des faits exacts. C’est ce que Voltaire lui remontre. Et, comparant les visées hautaines de cet hiérophante avec les humbles travaux du naturaliste, il conclut que la vision en Dieu est une rêverie inintelligible et que l’étude des plantes ou des insectes peut nous découvrir les plus grandes et les plus belles vérités[2].

Si Malebranche fut dupe d’une imagination sans frein, Spinoza le fut de l’esprit géométrique. La géo-

  1. Cf. Lettre à M. L. C., déc. 1768, LXV; 285 : « S’il avait pu s’arrêter sur le bord de l’abîme, il eût été le plus grand ou plutôt le seul métaphysicien ; mais il voulut parler au Verbe ; il sauta dans l’abîme et il disparut. »
  2. Courte réponse aux longs Discours d’un docteur allemand, XXXVIII, 527.