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VOLTAIRE PHILOSOPHE

sous prétexte de s’en assurer ? Au reste, la torture sauve le criminel robuste et fait dire tout ce qu’on veut à l’innocent qui a des muscles délicats. L’Angleterre et beaucoup d’autres pays l’ont supprimée, et les crimes n’y sont pas plus fréquents. Pourquoi donc la conservons-nous ? Un peuple qui se pique d’être poli ne se pique-t-il pas d’être humain [1] ?

Enfin Voltaire demande que les peines soient mieux appropriées aux délits. Dans son fameux ouvrage, paru en 1764, Beccaria déclarait qu’« il devait tout aux livres français », que ces livres « avaient développé en lui des sentiments d’humanité étouffés par huit années d’une éducation fanatique ». Quatre ans après, Voltaire publia son Commentaire sur cet ouvrage. « J’étais plein de la lecture du petit livre des Délits et des Peines, dit-il tout au début, lorsqu’on m’apprit qu’on venait de pendre dans une province une fille de dix-huit ans, belle et bien faite, qui avait des talents utiles et qui était d’une très honnête famille. Elle était coupable de s’être laissé faire un enfant, elle l’était encore davantage d’avoir abandonné son fruit… Mais, parce qu’un enfant est mort, faut-il

  1. Dict. phil., Question, XXXII, 52 sqq., Torture, id., 391 sqq. ; Comment. sur le Livre des délits, XLII, 446 sqq., Siècle de Louis XV, XXI, 410 ; Prix de la Justice et de l’Humanité, L, 327 sqq.; etc. — Cf. encore Ode à la Vérité :

    Arrête, âme atroce, âme dure,
    Qui veux, dans tes graves fureurs,
    Qu’on arrache par la torture
    La vérité du fond des cœurs.
    Torture ! usage abominable,
    Qui sauve un robuste coupable
    Et qui perd le faible innocent ;
    Du faîte éternel de son temple,
    La Vérité qui vous contemple
    Détourne l’œil en gémissant,

    (XI, 487.)