lui-même y perd ; chaque jour férié lui coûte plusieurs millions. Pourquoi donc tous les curés ne suivraient-ils pas l’exemple de Téotime ? Desservant de campagne, Téotime permet à ses ouailles de cultiver leur champ les jours de fête après le service divin : vaut-il donc mieux s’enivrer ? Cette permission, Voltaire la demanda, en 1761, à son évêque, Biord, pour les malheureux habitants du pays de Gex. Biord,
pour la Réformation des Ordres religieux. Cet ouvrier gagne 35 sous par jour, sa femme, 10. En déduisant de l’année 82 jours de dimanches ou de fêtes, on a 284 jours profitables, qui font 639 livres. Voilà son revenu. Ses charges une fois défalquées, reste 436 livres, c’est-à-dire 25 sous 3 deniers par jour, avec lesquels il doit se nourrir, se vêtir, se chauffer, lui, sa femme et leurs six enfants. « Je suis à la troisième fête de Noël, écrit-il, j’ai engagé le peu de meubles que j’avais, je me suis fait avancer une semaine par mon bourgeois, je manque de pain ; comment passer la quatrième fête ? Ce n’est pas tout ; j’en entrevois encore quatre autres dans la semaine prochaine. Grand Dieu, huit fêtes dans quinze jours ! Est-ce vous qui l’ordonnez ? » (XXIX, 381 sqq.).
Cf. encore Ibid., 318. Un pauvre gentilhomme du pays de Haguenau cultivait sa petite terre située dans une paroisse qui avait sainte Ragonde pour patronne. Le jour de la fête de sainte Ragonde, il fallut donner une façon à un champ, sans quoi tout était perdu. Le curé se fâcha ; le gentilhomme eut beau répondre qu’il avait une famille à nourrir : on le mit à l’amende, on le ruina ; il quitta le pays, passa chez l’étranger, se fit luthérien, et sa terre resta inculte plusieurs années. « On conta cette aventure à un magistrat de bon sens et de beaucoup de piété. Voici les réflexions qu’il fit à propos de sainte Ragonde. Ce sont, disait-il, les cabaretiers sans doute qui ont inventé ce prodigieux nombre de fêtes : la religion des paysans et des artisans consiste à s’enivrer le jour d’un saint qu’ils ne connaissent que par ce culte ; c’est dans ces jours d’oisiveté et de débauche que se commettent tous les crimes ; ce sont les fêtes qui remplissent les prisons et qui font vivre les archers, les greffiers, les lieutenants criminels et les bourreaux ; voilà, parmi nous, la seule excuse des fêtes. Les champs catholiques restent à peine cultivés tandis que les campagnes hérétiques, labourées tous les jours, produisent de riches moissons. »