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VOLTAIRE PHILOSOPHE

afin de soulager les pauvres ; mais ces établissements ne sont ni assez nombreux, ni, pour la plupart, assez bien administrés. L’État doit se substituer aux moines, s’il veut abolir la mendicité et tous les désordres qui en procèdent[1].

L’immense majorité des Français, et notamment les paysans, gagnent tout juste leur vie. S’ils n’ont pas besoin d’assistance, cessons au moins de les opprimer et de les spolier.

Quelle est, en France, la condition des paysans ? Voltaire les montre « vivant dans des cabanes avec leurs femelles et quelques animaux, exposés sans cesse à toute l’intempérie des saisons, soumis, sans qu’ils sachent pourquoi, à un homme de plume auquel ils portent tous les ans la moitié de ce qu’ils ont gagné à la sueur de leur front… quittant quelquefois leur chaumière lorsqu’on bat le tambour et s’engageant à s’aller faire tuer dans une terre étrangère et à tuer leurs semblables pour le quart de ce qu’ils peuvent gagner chez eux en travaillant » (Introd. à l’Essai sur les Mœurs, XV, 98). Et citons encore ces lignes, comparables au fameux passage de La Bruyère : « Je vis dans le lointain quelques spectres à demi nus, qui écorchaient avec des bœufs aussi décharnés qu’eux un sol encore plus amaigri » (Dict. phil., Fertilisation, XXIX, 378).

En Angleterre, les paysans mangent du pain blanc, ils ont de nombreux bestiaux bien nourris, et, souvent, un revenu de cinq ou six cents livres sterling. Ne sauraient-ils, chez nous, jouir au moins

  1. Instruction pour le prince royal de ***, XLIII, 433. — Cf. Dict. phil., Fertilisation, XXIX, 315 ; Lettre à l’abbé Roubaud, 1er juill. 1769, édition Moland, XLVI, 362.