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VOLTAIRE PHILOSOPHE

saires abusent, n’a rapport en réalité qu’aux querelles théologiques[1].

Aussi bien, d’autres passages beaucoup plus nombreux démentent ceux qui précèdent et sont en accord avec le sens de toute son œuvre. Dans un dialogue entre le fakir Bambalef et Ouang, disciple de Confucius, celui-ci montre qu’il faut mettre le peuple à même de pratiquer la justice en lui enseignant une religion vraiment philosophique[2]. L’opuscule ironiquement intitulé Jusqu’à quel point on doit tromper le peuple commence de la façon suivante : « C’est une très grande question, mais peu agitée, de savoir jusqu’à quel degré le peuple, c’est-à-dire neuf parts du genre humain sur dix, doit être traité comme des singes. La partie trompante n’a jamais bien examiné ce problème délicat, et, de peur de se méprendre au calcul, elle a accumulé tout le plus de visions qu’elle a pu dans les têtes de la partie trompée. Oserai-je… demander quel mal il arriverait au genre humain si

  1. Voici le texte complet : « Confucius a dit qu’il avait connu des gens incapables de science, mais aucun incapable de vertu. Aussi doit-on prêcher la vertu au plus bas peuple. Mais il ne doit pas perdre son temps à examiner qui avait raison de Nestorius ou de Cyrille, d’Eusèbe ou d’Athanase, de Jansénius ou de Molina, de Zwingle ou d’Œcolampade. Et plût à Dieu qu’il n’y eût jamais eu de bon bourgeois infatué de ces disputes ! Nous n’aurions jamais eu de guerres de religion, nous n’aurions jamais eu de Saint-Barthélemy. Toutes les querelles de cette espèce ont commencé par des gens oisifs et qui étaient à leur aise. Quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu. Je suis de l’avis de ceux qui veulent faire de bons laboureurs des enfants trouvés au lieu d’en faire des théologiens. »
  2. Dict. phil., Fraude, XXIX, 517 sqq. — Cf. Sermon des Cinquante, XL, 626 : « On nous dit qu’il faut des mystères au peuple, qu’il faut le tromper. Eh ! mes frères, peut-on faire cet outrage au genre humain ? » etc. Cf, encore Épître aux Frères, XLIV, 9.