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POLITIQUE

talents » (Ibid., XVII, 7). L’égalité bien entendue comporte la subordination. « Nous sommes tous également hommes, mais non membres égaux de la société » (Pensées sur le Gouvernement, XXXIX, 427). Prétendre, comme Jean-Jacques, qu’un souverain doit donner pour femme à son fils la fille du bourreau, quand les caractères se conviennent, c’est parler en « charlatan sauvage » (Siècle de Louis XV, XXI, 431). Quoique tout homme, dans le fond de son cœur, ait le droit de se croire l’égal des autres hommes, le cuisinier d’un cardinal ne saurait cependant exiger que son maître lui fasse la cuisine[1].

Cette inégalité des fortunes et des conditions peut bien être considérée comme une iniquité — les deux mots ont d’ailleurs un sens analogue — par ceux-là mêmes qui, l’estimant nécessaire, la justifient au point de vue social. Mais songeons que le bonheur, après tout, ne dépend ni de la richesse ni du rang : un berger vit, bien souvent, plus heureux qu’un roi[2]. Et,

  1. « Le cuisinier peut dire : « Je suis homme comme mon maître, je suis né comme lui en pleurant, il mourra comme moi dans les mêmes angoisses et les mêmes cérémonies. Nous faisons tous les deux les mêmes fonctions animales. Si les Turcs s’emparent de Rome, et si alors je suis cardinal et mon maître cuisinier, je le prendrai à mon service. » Tout ce discours est raisonnable et juste. Mais, en attendant que le Grand Turc s’empare de Rome, le cuisinier doit faire son devoir, ou toute société humaine est pervertie » (Dict. phil., Égalité, XXIX, 11).
  2. Cf. Premier Discours sur l’Homme :

    Nos cinq sens imparfaits donnés par la nature
    De nos biens, de nos maux, sont la seule mesure
    Les rois en ont-ils six ?…
    On dit qu’avant la boîte apportée à Pandore,
    Nous étions tous égaux ; nous le sommes encore.
    Avoir les mêmes droits à la félicité,
    C’est pour nous la parfaite et seule égalité.
    Vois-tu dans ces vallons ces esclaves champêtres ?…