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VOLTAIRE PHILOSOPHE

exactement, de la liberté religieuse, Voltaire en est à juste titre considéré comme le principal défenseur parmi les philosophes du xviiie siècle.

Cependant il ne l’admet pas sans bien des restrictions. Non plus que Montesquieu, qui reconnaît à l’État le droit d’interdire une religion nouvelle, il n’est complètement affranchi des préjugés contemporains. Et sans doute il a raison de distinguer entre la faction et l’hérésie, de dire que, si l’hérésie doit être libre, l’État ne peut tolérer une secte qui se met en révolte contre

    En note : « C’étaient des écrivains, des prédicateurs de la Ligue… Ils mettaient le couteau dans les mains des parricides. »

    Mais quoi ? si quelque main dans le sang s’est trompée,
    Vous est-il défendu de porter une épée ?…
    Qu’on punisse l’abus, mais l’usage est permis.

    (XII, 293.)


    Et voici le second passage : « B. L’esclavage de l’esprit, comment le trouvez-vous ? — A. Qu’appelez-vous esclavage de l’esprit ? — B. J’entends cet usage où l’on est de plier l’esprit de nos enfants, d’instituer enfin des lois qui empêchent les hommes d’écrire, de parler et même de penser… — A. S’il y avait de pareilles lois en Angleterre, ou je ferais une belle conspiration pour les abolir, ou je fuirais pour jamais de mon île, après y avoir mis le feu. — C. Cependant il est bon que tout le monde ne dise pas ce qu’il pense. On ne doit insulter ni par écrit ni dans ses discours les puissances et les lois à l’abri desquelles on jouit de sa fortune, de sa liberté et de toutes les douceurs de la vie. — A. Non sans doute, et il faut punir le séditieux téméraire. Mais parce que les hommes peuvent abuser de l’écriture, faut-il en interdire l’usage ? J’aimerais autant qu’on vous rendit muet pour vous empêcher de faire de mauvais arguments. On vole dans les rues ; faut-il pour cela défendre d’y marcher ? On dit des sottises et des injures ; faut-il défendre de parler ? Chacun peut écrire chez nous ce qu’il pense à ses risques et périls ; c’est la seule manière de parler à sa nation. Si elle trouve que vous avez parlé ridiculement, elle vous siffle ; si séditieusement, elle vous punit ; si sagement et noblement, elle vous aime et vous récompense… Point de liberté chez les hommes, sans celle d’expliquer sa pensée » (A, B, C, XLV, 73).