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VOLTAIRE PHILOSOPHE

Pourtant, soit dans maints articles de son Dictionnaire philosophique, soit dans plusieurs écrits spéciaux, lui-même a raisonné sur Dieu, sur l’âme, sur le problème du mal, sur celui du libre arbitre. Il déclarait ces questions insolubles : comment donc y a-t-il si souvent appliqué sa méditation ?

Tout d’abord la curiosité « est la maladie de l’esprit humain »; c’est ce qu’il écrit à Mme du Deffand (19 févr. 1766) quand il vient de commencer, plus que septuagénaire, un nouveau traité sur la métaphysique[1]. Et qui fut jamais plus curieux que lui ? « Voyant, dit-il dans ce traité, qu’un nombre prodigieux d’hommes n’avait pas seulement la moindre idée des difficultés qui m’inquiètent,… voyant même qu’ils se moquaient souvent de ce que je voulais savoir, j’ai soupçonné qu’il n’était point du tout nécessaire que nous le sussions… Mais, malgré ce désespoir, je ne laisse pas de désirer d’être instruit, et ma curiosité trompée est toujours insatiable » (XLII, 538). Voltaire avait beau railler la métaphysique ; il ne pouvait en divertir son esprit, il y revenait sans cesse.

Du reste, même si ses recherches ne devaient lui apprendre rien de nouveau, elles le soustrayaient en tout cas aux mesquines préoccupations de la vie courante. On l’accuse d’avoir « découronné », d’avoir « ravalé » l’esprit humain, « d’être venu ridiculiser une manière de penser » qui « attachait la réflexion de l’homme à la méditation de ses intérêts éternels » et le transportait « dans une région supérieure[2] » : en réalité, il ridiculise des rêveries, des inventions

  1. Le Philosophe ignorant.
  2. Brunetière, Études critiques, t. IV, p. 320.