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VOLTAIRE PHILOSOPHE

moins de reconnaître les limites assignées à l’esprit humain[1]. Douteur et non docteur[2], il intitule un de ses plus importants écrits métaphysiques Le Philosophe ignorant ou les Questions d’un homme qui ne sait rien ; et ce philosophe ignorant, cet homme qui ne sait rien, qui se contente de poser des questions, c’est lui-même.

Aux dogmatistes superbes, disant : Que ne sais-je pas ? Voltaire oppose le sceptique modeste, disant avec Montaigne : Que sais-je ? Décideurs impitoyables, ceux-là cherchent les bornes de leur esprit ; elles sont « au bout de leur nez » (Dict. phil., Bornes de l’Esprit humain, XXVII, 403). « Ô atomes d’un jour, s’écrie-t-il, ô mes compagnons dans l’infinie petitesse, nés, comme moi, pour tout souffrir et pour tout ignorer, y en a-t-il parmi vous d’assez fous pour croire savoir tout cela ? Non, il n’y en a point ; non, dans le fond de votre cœur vous sentez votre néant comme je rends justice au mien. Mais vous êtes assez orgueilleux pour vouloir qu’on embrasse vos vains systèmes ; ne pouvant être les tyrans de nos corps, vous prétendez être les tyrans de nos âmes » (Dict. phil., Ignorance, XXX, 315).

Ces docteurs que Voltaire apostrophe ainsi ne sont pas seulement les théologiens, ce sont encore les

  1. « On demandait un jour à Newton pourquoi il marchait quand il en avait envie et comment son bras et sa main se remuaient a sa volonté. Il répondit bravement qu’il n’en savait rien. Mais du moins, lui dit-on, vous qui connaissez si bien la gravitation des planètes, vous me direz par quelle raison elles tournent dans un sens plutôt que dans un autre. Et il avoua encore qu’il n’en savait rien » (Dict. phil., Bornes de l’Esprit humain, XXVII, 401).
  2. Dict. phil. Introduction aux Questions sur l’Encyclopédie, XXVI, 4.