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MÉTAPHYSIQUE ET PHYSIQUE

répondait : Parce qu’il a une vertu dormitive. Ne nous moquons point de lui. Voyons plutôt dans cette réponse le dernier mot de la science humaine. Et quelle autre pourrions-nous faire sur n’importe laquelle de nos facultés ? Elles sont toutes « à la Diafoirus »[1].

Hors de nous, même mystère. Nous ne connaissons rien des phénomènes les plus simples et les plus familiers. « Vous persistez donc dans le goût de la physique ? écrit Voltaire à M. de Tressan. Pour moi, j’y ai renoncé, et en voici la raison. Un jour, en soufflant mon feu, je me mis a songer pourquoi du bois faisait de la flamme. Personne ne me l’a pu dire… » (13 févr. 1758)[2]. Nous ne savons ni en quoi consiste la vie, ni ce que c’est que le mouvement, ni de quelle façon il se communique ; nous ignorons comment et pourquoi il y a quelque chose ; nous ne pouvons saisir que des apparences, et sans doute trompeuses. Tout échappe à notre entendement, tout est pour nous qualité occulte[3].

Nous rendre compte de cette ignorance, voilà, selon Voltaire, le principe de la sagesse. Admirant Newton pour son génie sublime, il ne l’admire guère

  1. Dict. phil., Faculté, XXIX, 313. — En réalité c’est Argan et non Diafoirus qui fait la réponse citée par Voltaire.
  2. Dict. phil., Bornes de l’Esprit humain : « Quelqu’un a-t-il jamais pu dire précisément comment une bûche se change dans son foyer en charbon ardent et par quelle mécanique la chaux s’enflamme avec de l’eau fraîche ? Le premier principe du mouvement du cœur dans les animaux est-il bien connu ? Sait-on bien nettement comment la génération s’opère ? A-t-on deviné ce qui nous donne les sensations, les idées, la mémoire ? Nous ne connaissons pas plus l’essence de la matière que les enfants qui en touchent la superficie » (XXVII, 402).
  3. Élém. de la Phil. de Newton, XXXVIII, 136.