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MORALE

desseins. Voltaire le croit-il ? Non sans doute ; mais, sans s’exagérer l’influence que ses conseils peuvent exercer sur Frédéric, il remplit son devoir de philosophe.

Ce qui est sûr, c’est qu’il ne partage pas les illusions de l’abbé de Saint-Pierre. Si lui-même a écrit un opuscule intitulé De la Paix perpétuelle, il y traite en réalité de la tolérance « la seule paix perpétuelle qui puisse être établie chez les hommes » ; quant à cette paix « imaginée par un Français nommé l’abbé de Saint-Pierre », elle ne saurait pas plus subsister entre les princes « qu’entre les éléphants et les rhinocéros » (XLVI, 57). Dans l’article Guerre du Dictionnaire philosophique, il appelle la guerre « un fléau inévitable » (XXX, 153)[1]. Dans une note au Poème de la Tactique, il remarque tout d’abord que plus les nations se sont policées, plus elles en ont adouci les horreurs. Mais il qualifie pourtant de rêve le généreux projet de l’abolir, et il déclare que, ne pouvant empêcher les loups de manger les moutons, nous ne pouvons davantage empêcher les hommes de s’entr’égorger[2].

Quelle que soit la sagesse d’une nation, elle a toujours à craindre les nations voisines. Après avoir développé dans la Tactique tous les lieux communs en usage contre le métier militaire, les armées, les prétendus héros, Voltaire se rend bientôt aux raisons de son interlocuteur : quand on la fait pour garder

  1. Cf. Lettre à la duchesse de Saxe-Gotha, janv. 1762, édition Moland.
  2. XIV, 276. — En combattant la guerre et ceux qui en font Yapologie, Voltaire protestait que l’homme n’est point un loup. Mais il y a pourtant du loup dans l’homme, et c’est ce que lui-même remontre aux « pacifistes » de son temps.