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MORALE

les anciens Romains. S’ils vécurent sans luxe, c’est quand ils étaient encore pauvres. Du reste ces Romains dont nos moralistes célèbrent la vertu, n’en saccageaient pas moins les villages des Volsques ou des Samnites. Plus tard, ils conquirent le monde. Leur en voudra-t-on d’avoir mis à profit leurs rapines ? Ce sont ces rapines qu’on doit leur reprocher. Tant qu’ils furent pauvres, ils se passèrent de luxe : rien là de vertueux ; lorsqu’ils devinrent opulents, ils jouirent de leurs richesses : rien là de criminel. Le luxe, par lequel se développent tous les arts, ne mérite la censure des moralistes que s’il est excessif en comparaison de nos ressources ou du milieu dans lequel nous vivons.

Sur sept vertus théologales ou cardinales, six, comme dit Voltaire, restent dans l’école. Trois, la force, la tempérance, la prudence, sont des qualités qui ne méritent pas d’être appelées vertus ; deux, l’espérance et la foi, n’ont aucun rapport avec la morale ; une, la charité, peut causer les plus grands maux. La seule des sept que Voltaire reconnaisse pour vertu, c’est la justice.

L’accuserons-nous, avec un critique contemporain, de réduire la loi morale à la pratique de cette seule vertu[1] ? S’il répudie la charité, et nous avons dit pourquoi, il y substitue la bienfaisance.

  1. « La loi morale, pour lui, c’est de ne pas commettre l’injustice. Or définir la loi morale ainsi, c’est la restreindre ; et la restreindre ainsi, voilà que c’est encore la nier… Ce n’est pas quand elle dit : Ne tue point ! qu’elle est une morale… ; c’est quand elle dit : Donne, dévoue-toi, sacrifie-toi. Alors, seulement alors, elle est autre chose qu’un instinct… La morale commence à le charité. Or c’est où elle commence que Voltaire n’atteint pas » (E. Faguet, Dix-huitième siècle, p. 211).