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MORALE

fois n’a-t-il pas fait au contraire l’éloge de l’action et du travail[1] ! Mais comparons seulement son existence avec celle de son mondain. « Un homme qui, pendant soixante et dix ans, n’a point peut-être passé un seul jour sans écrire ou sans agir en faveur de l’humanité, aurait-il approuvé une vie consumée dans de vains plaisirs ? » (XIV, 125). Ainsi plaident sa cause les éditeurs de Kehl. Et Voltaire, de son côté, écrit à Frédéric : « C’est par pure humanité que je conseille les plaisirs ; le mien n’est guère que l’étude et la solitude » (janv. 1737 ; LII, 385). Au surplus, le ton même de la pièce en indique assez le caractère plaisant ; et, quand il s’écriait :

Un cuisinier est un mortel divin !


il ne pensait pas sans doute qu’on pût le prendre au mot.

Son innocent badinage avait cependant une signification. Il reprit le sujet du Mondain sous une forme sérieuse dans le cinquième Discours sur l’Homme, qui, comme le Mondain, procède de son aversion pour l’ascétisme catholique. Et là encore cette aversion l’entraîne quelquefois trop loin : il déclare que la nature nous révèle Dieu par les plaisirs ; puis, en nous recommandant là-dessus d’être hommes avant d’être chrétiens, il semble admettre que l’essence de l’humanité

  1. Cf. par exemple Épître au roi de Prusse :

    Travailler est le lot et l’honneur d’un mortel ;

    (XIII, 207.)

    Lettre à l’abbé d’Olivet : « Je m’aperçois tous les jours, mon cher maître, que le travail est la vie de l’homme… Moi qui suis jeune et qui n’ai que soixante-huit ans, je dois travailler pour mériter un jour de me reposer » (4 nov. 1762).