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MORALE

pense en vue de laquelle on la pratique ; dans le dialogue entre l’Excrément de théologie et l’Honnête homme, quand celui-ci a dit que la bienfaisance est la seule vraie vertu : « Quelque sot ! répond l’autre. Vraiment oui, j’irai me donner bien du tourment pour servir les hommes, et il ne m’en reviendrait rien ! Chaque peine mérite salaire. Je ne prétends pas faire la moindre action honnête, à moins que je ne sois sûr du paradis » (Dict. phil., Vertu, XXXII, 451).

La charité, d’ailleurs, peut rester inactive, et dès lors que vaut-elle ? Mais quand elle agit, ceux qui en sont l’objet trouvent parfois que ses pratiques manquent d’aménité :

Un doux inquisiteur, un crucifix en main,
Au feu par charité fait jeter son prochain.

(Loi naturelle, XII, 168.)

Il y eut en Danemark une secte parmi laquelle cette vertu chrétienne était en singulier honneur. Comme les enfants qui meurent tout de suite après le baptême doivent jouir de la félicité et de la gloire éternelles, son zèle charitable ne trouvait rien de mieux que d’égorger le plus possible d’enfants nouvellement baptisés afin de leur procurer le paradis[1].

La foi, l’espérance et la charité peuvent bien faire des saints. Mais Voltaire, pour son compte, n’apprécie les saints que s’ils se rendent utiles. « Mon saint à moi, dit-il, c’est Vincent de Paule, c’est le patron des fondateurs. Il a laissé plus de monuments utiles que son souverain Louis XIII. Au milieu des guerres de la Fronde, il fut également respecté des deux partis. Lui

  1. Traité sur la Tolérance, XLI, 344.