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VOLTAIRE PHILOSOPHE

non seulement à la pensée et au sentiment du mystère, mais à l’idée qu’il peut y avoir quelque chose de mystérieux[1] ». Voltaire, dit tel autre, « n’a pas senti que nous sommes enveloppés d’obscurité, que notre intelligence se heurte de toute part à l’inconnaissable[2] ». Ce qui est vrai, c’est que nul philosophe ne marqua avec tant d’humilité les bornes de notre entendement ; et, nous allons le voir, son objet principal en métaphysique fut justement d’écarter, comme illusoires, les théories et les systèmes par lesquels la présomptueuse faiblesse de l’esprit humain prétend résoudre des problèmes insolubles.

Il répète sans cesse que nous ne savons rien, que nous ne pouvons rien savoir. Aux philosophes qui se plaignent de cette ignorance, il cite le vers d’Ovide :

Sors tua mortalis ; non est mortale quod oplas,


traduit par lui-même dans le second Discours sur l’Homme :

Tes destins sont d’un homme et tes vœux sont d’un Dieu.

(XII, 59.)


Mais, pour ceux qui, n’ayant pas conscience de notre infirmité, imaginent des systèmes plus ou moins spécieux, il les traite de rêveurs ou de thaumaturges. « Tout, déclare-t-il, est plongé pour nous dans un gouffre de ténèbres » (Dict. phil., Âme, XXVI, 218). Et voilà comment Voltaire nie l’inconnaissable, voilà comment sa légèreté d’esprit le persuade que le monde ne renferme rien de mystérieux !

Après avoir, dans Le Philosophe ignorant, reconnu

  1. E. Faguet, Dix-huitième siècle, p. 232.
  2. Brunetière, Études critiques, t. IV, p. 320.