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VOLTAIRE PHILOSOPHE

les porte à s’unir comme il les porte à manger et à boire[1].

Et qui peut après cela mettre en doute que la société humaine ne date des premiers temps ? Elle est « aussi ancienne que le monde » (Dict. phil., XXXI, 457).

Jean-Jacques Rousseau parle de je ne sais quel état de nature : absurde chimère, qu’imagine ce misanthrope pour les besoins de sa thèse. « Parmi tant de nations si différentes de nous et si différentes entre elles, on n’a jamais trouvé d’hommes isolés, solitaires, errants à l’aventure à la manière des animaux, s’accouplant comme eux au hasard et quittant leurs femelles pour chercher seuls leur pâture » (Essai sur les Mœurs, XVII, 403). Un bachelier ayant demandé à un sauvage si beaucoup de ses congénères ne passaient pas leur vie dans la solitude, celui-ci répondit qu’il n’en avait jamais vu de tels, que les

  1. Dict. phil., Homme, XXX, 241. — Cf. Traité de Métaphysique : « Tout animal est toujours entraîné par un instinct invincible à tout ce qui peut tendre à sa conservation… Les animaux les plus sauvages et les plus solitaires sortent de leurs tanières quand l’amour les appelle et se sentent liés pour quelques mois par des chaînes invisibles à des femelles et à des petits… D’autres espèces sont formées par la nature pour vivre toujours ensemble, les unes dans une société réellement policée, comme les abeilles, les fourmis, les castors et quelques espèces d’oiseaux ; les autres sont seulement rassemblées par un instinct plus aveugle qui les unit sans objet et sans dessein apparent, comme les troupeaux sur la terre et les harengs dans la mer. L’homme n’est pas certainement poussé par son instinct à former une société policée telle que les fourmis et les abeilles. Mais, à considérer ses besoins, ses passions et sa raison, on voit bien qu’il n’a pas dû rester longtemps dans un état entièrement sauvage. Il suffit, pour que l’univers soit ce qu’il est aujourd’hui, qu’un homme ait été amoureux d’une femme », etc. (XXXVII, 329)