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MORALE

Secondement, et dans un autre ordre d’idées, faire de l’utilité commune la seule mesure du bien et du mal, c’est se justifier, en politique, un régime oppressif qui donnerait à l’État toute licence contre les individus. Mais ce reproche, il faut bien le dire, s’adresserait à Jean-Jacques plutôt qu’à Voltaire. Foncièrement individualiste, l’auteur du Contrat social pose cependant en principe l’aliénation complète du citoyen à la communauté ; et, malgré les réserves qu’il multiplie par la suite, on trouve dans son livre certaines propositions d’où réussirait un socialisme tyrannique. Quant à Voltaire, son culte pour l’institution civile ne l’empêche pas de maintenir contre la société les droits inviolables de chaque citoyen. Il n’a garde de transporter dans la politique une maxime qui, même dans la morale, peut être mal interprétée.

Quoi qu’il en soit, l’idée à laquelle se ramène l’œuvre de Voltaire philosophe et moraliste, c’est que l’homme est un être éminemment sociable.

Des rhéteurs sans vergogne peuvent bien abuser de leur esprit en préconisant pour l’homme la vie solitaire du loup cervier : selon Voltaire, la sociabilité est un instinct essentiel de l’espèce humaine, comme elle l’est aussi de quelques autres espèces animales, mais avec cette différence que la raison chez nous le fortifie. Les harengs nagent par bandes, et personne n’oserait dire qu’ils soient faits pour nager chacun à part. Ne disons pas non plus que les hommes soient faits pour rester isolés les uns des autres. Leur instinct

    amis ? La comédie de l’Enfant prodigue avait été récemment jouée sans que l’auteur se déclarât ; il leur recommande de ne pas le trahir et de détourner les soupçons.