Page:Pellissier - Voltaire philosophe, 1908.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
VOLTAIRE PHILOSOPHE

vices, dont lui seul souffre, n’ont, tant qu’il vit sans rapport avec d’autres hommes, aucun caractère d’immoralité, et c’est par un préjugé d’ailleurs très difficile à vaincre que nous lui appliquons les notions morales issues de la vie en commun[1]. Aussi bien le cas de ce solitaire est tout exceptionnel. Et si, d’une façon générale, Voltaire soutient que le vice et la vertu n’ont pas d’existence en dehors de la société, ne l’accusons pas de nier par là les devoirs de la morale individuelle pour les hommes qui vivent avec leurs semblables. Car la morale individuelle est, pour eux, impliquée et contenue dans la morale sociale : en nous faisant tort à nous-mêmes, en diminuant notre valeur propre, nous nous rendons moins capables de servir la société.

Restent deux autres objections.

On ne saurait admettre, premièrement, que les vices, dès l’instant où ils concourraient, soit à la prospérité commune, soit au bien de tel groupe ou de tel individu, prissent le nom de vertus. Le mensonge par exemple est quelquefois louable, et Voltaire a bien raison de le dire. Mais nous n’en devons pas moins affirmer cette règle générale qu’il ne faut pas mentir, sauf à reconnaître en temps et lieu les exceptions nécessaires[2].

  1. Dict. phil., Vertu, XXXII, 452.
  2. « Le mensonge, écrit Voltaire à Thiériot, n’est un vice que quand il fait du mal ; c’est une très grande vertu quand il fait du bien. Soyez plus vertueux que jamais. Il faut mentir comme un diable, non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours… Mentez, mes amis, mentez » (21 oct. 1736). — On a plus d’une fois cité ce passage en l’isolant, comme si Voltaire y faisait l’apologie générale du mensonge. Mais ce n’était là qu’une badinerie inoffensive, le ton même en témoigne. Et d’ailleurs quel mensonge recommande-t-il à ses