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MORALE

chez lesquels on croie juste d’égorger un ami. Quoique les règles du bien et du mal varient, en maints usages, d’un pays à l’autre, le principe essentiel d’où procède la morale reste toujours et partout le même malgré la diversité des races ou des états de civilisation, tous les les hommes considèrent comme bonnes les choses utiles à la société, comme mauvaises celles qui lui sont nuisibles.

Locke, niant les idées innées, prétendait que les différents peuples se font différentes idées de la justice. Cette assertion, Voltaire l’a souvent combattue. Du moins, il atteste que certains sentiments d’où procède l’institution sociale, comme par exemple la bienveillance envers ceux de notre espèce, sont inhérents à tous les êtres humains. Ainsi un homme se sent toujours en disposition de secourir un autre homme, pourvu que son intérêt n’en souffre pas ; le plus féroce des sauvages, encore dégouttant du sang d’un ennemi qu’il va manger, s’attendrit devant les souffrances d’un de ses compagnons et fait son possible pour les adoucir. D’autre part et surtout, le bien de la société détermine chez n’importe quel peuple la règle du juste et de l’injuste. L’adultère peut être autorisé dans tel pays ; dans aucun l’on n’estime home qui trahit sa parole ou qui est ingrat envers son bienfaiteur. Et, s’il faut sans doute faire la part des différences relatives à la race, au climat, au degré de culture, ces différences n’empêchent pas que le fond même de la morale, que l’idée du juste et de l’injuste ne soit partout identique[1].

  1. Loi naturelle, XII, 160 ; Dict. phil., Athée, XXVII, 165, Nécessaire, XXXI, 271; Traité de Métaph., XXXVII, 336 sqq.; Élém. de