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MORALE

nous pouvons nous passer de la connaître. Ce qui n’est pas d’une nécessité absolue pour tous les hommes en tout temps et en tout lieu n’est nécessaire à aucun homme. Les problèmes sur lesquels nous nous divisons peuvent avoir plus ou moins d’intérêt dans l’ordre spéculatif ; ils n’ont pas d’utilité pratique, pas de rapport avec la conduite de la vie[1].

Le théologal Logomacos, s’adressant au bon vieillard Dondindac, lui pose quelques questions sur les mystères de la dogmatique. Et Dondindac répond : J’ignore ce que vous me demandez et je ne songe guère à m’en enquérir. Il me suffit de reconnaître Dieu pour mon souverain, pour mon juge et pour mon père[2].

Que nous importe si Dieu est infini secundum quid ou selon l’essence, s’il est en un lieu, ou hors de tout lieu, ou en tout lieu, s’il peut faire que ce qui a été n’ait point été, s’il voit le futur comme futur ou comme présent, de quelle façon il tire l’être du néant et anéantit l’être ? Nous ne le saurons jamais, et aucun. théologal ne peut nous l’apprendre. Aucun théologal ne nous apprendra non plus si le Verbe engendré est consubstantiel avec son générateur, s’il descendit aux enfers per effectum et aux limbes per essentiam, si l’on mange son corps avec les accidents seuls du pain ou avec la substance du pain. Mais, quand un ange envoyé des cieux nous expliquerait tous ces problèmes, en serions-nous beaucoup plus avancés? Aimer l’Être suprême comme un père et nos semblables comme des frères, tel est le devoir de tous les hommes ; et la théologie, dont nous n’avons pas besoin pour le con-

  1. Lettre à Voyer d’Argenson, 6 nov. 1770.
  2. Dict. phil., Dieu, XXVIII, 395 sqq.