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MORALE

recours à un Dieu rémunérateur et vengeur. Les magistrats d’une ville avaient beau faire des lois contre le vol… on les volait eux-mêmes dans leur logis… Quel autre frein pouvait-on mettre à la cupidité, aux transgressions secrètes et impunies, que l’idée d’un maître éternel qui nous voit et qui jugera jusqu’à nos plus secrètes pensées ? » (XLVI, 102)[1]. Dans l’article Enfer du Dictionnaire philosophique, après avoir raconté comment un théologien calviniste, pasteur à Neuchâtel, dut abandonner ses fonctions pour avoir nié l’éternité des peines, il ajoute qu’un des ministres qui l’y contraignaient lui dit : « Mon ami, je ne crois pas plus à l’enfer éternel que vous ; mais sachez qu’il est bon que votre servante, que votre tailleur et surtout votre procureur y croient » (XXIX, 117, 118). Nous l’avons entendu déclarer pour son propre compte que le dogme d’un Dieu vengeur était une utile protection contre les méchants. Lui non plus, il ne croyait point aux peines éternelles. Mais croyait-il à des peines temporaires ? C’est fort douteux[2].

Si Voltaire soutient d’ordinaire l’immortalité de l’âme, il ne la soutient qu’en vue des sanctions futures ; aussi n’a-t-il aucun motif, quand il nie ces sanctions, de prétendre que l’âme soit immortelle. Dans le Traité de Métaphysique par exemple, il la fait périr

  1. De même, dans l’Homélie sur l’Athéisme : « On sait assez que la terre est couverte de scélérats heureux et d’innocents opprimés. Il fallut donc nécessairement recourir à la théologie des nations plus nombreuses et plus policées, qui longtemps auparavant avaient posé pour fondement de leur religion des peines et des récompenses » (XLIII, 240).
  2. Il dit même en maints passages que le mal n’existe pas par rapport à l’Être suprême. Cf. p. 187, n. 1.