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MÉTAPHYSIQUE ET PHYSIQUE

Telle que l’entend Voltaire, la frivolité n’est-elle pas d’ailleurs une condition indispensable de la vie humaine ? Dans Atala, Chateaubriand fait dire au Père Aubry : « Les douleurs ne sont point éternelles… C’est une de nos grandes misères ; nous ne sommes même pas capables d’être longtemps malheureux. » Mais, l’abbé Morellet ayant traité cette pensée de paradoxe, il lui reproche de « confondre les mots ». « Je n’ai pas dit : C’est une de nos grandes infortunes, ce qui serait faux sans doute ; j’ai dit : C’est une de nos grandes misères, ce qui est très véritable. » Et il reconnaît « l’incapacité de l’homme pour la douleur » comme « un des grands biens de la vie[1] ». Si l’on défendait à l’homme tout divertissement, il faudrait donc, avec Pascal, vouloir qu’il demeurât « en repos dans une chambre ».

Nous voyons assez pourquoi Voltaire fait « l’éloge de la frivolité ». Sans cette frivolité dont Vinet lui reproche de faire l’éloge, nous serions inhabiles à vivre. Du reste, s’il déclare que parmi dix mille de ses contemporains, deux ou trois à peine n’ont pas

    [l’affaire Galas]. On aurait beau rouer cent innocents, on ne parlera que d’une piece nouvelle, et on ne songera qu’à un bon souper » (Lettre à M. Audibert, 9 juill. 1762). — « Un des plus grands malheurs des honnêtes gens, c’est qu’ils sont des lâches. On gémit, on se tait, on soupe, on oublie » (Lettre à d’Alembert, 7 août 1766). — À Moultou, qui lui avait envoyé un livre donnant la liste des protestants emprisonnés, condamnés aux galères, etc., Voltaire répond : « … Ils[mes yeux] lisent en pleurant cet amas d’horreurs. Je voudrais que de tels livres fussent en France dans les mains de tout le monde ; mais l’Opéra-Comique l’emporte, et presque tout le monde ignore que les galères sont pleines de malheureux condamnés pour avoir chanté de mauvais psaumes » (Oct. 1766, Édition Moland).

  1. Préface d’Atala et de René, édition de 1805.