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VOLTAIRE PHILOSOPHE

Au xviiie siècle, le clergé possédait « un cinquième des biens du royaume[1] ». Voici quelques chiffres. Les estimations faites par les moines eux-mêmes se montent à plus d’un million de livres pour les 399 Prémontrés, à près de deux millions pour les 299 Bénédictins de Cluny, à huit pour les 1 672 Bénédictins de Saint-Maur ; et l’on sait que ces estimations, beaucoup trop modestes, doivent être triplées pour la plupart ou même quadruplées. Quant aux prélats, ils ont, outre leurs revenus épiscopaux, ceux de leurs abbayes : 30 000 livres à Séez, 36 000 à Sisteron, 40 000 à Rennes, 50 000 à Autun, 60 000 à Strasbourg, 82 000 à Sens, 106 000 à Toulouse, 130 000 à Rouen. Et quel emploi font-ils de tout cet argent ? Le soulagement des pauvres est le moindre de leurs soucis. Ils bâtissent, ils chassent, ils tiennent table ouverte ; ils ont leur batterie de cuisine en argent massif et tendent leurs confessionnaux de satin.

On peut se figurer par là même quelles sont les mœurs du haut clergé. Dom Collignon, représentant de l’abbaye de Metlach, seigneur et curé de Valmunster, évite du moins le scandale, et ne dîne avec ses deux maîtresses qu’en petit comité. Mais l’évêque du Mans, Grimaldi, fait de sa maison de campagne « un rendez-vous de jolies dames », et l’avocat Barbier nous dit que La Fare, évêque de Laon, eût été un mauvais sujet parmi les mousquetaires. Faut-il en nommer d’autres plus connus ? Lavergne de Tressan, habituel compagnon des roués, qui occupa le siège archiépiscopal de Rouen ; Tencin, archevêque d’Em-

  1. Avertissement des éditeurs de Kehl à la Voix du Sage et du Peuple, XXXIX, 340.