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RELIGION

la Théorie des Lois civiles, que le christianisme, au lieu de briser les chaînes de la servitude, les a resserrées pendant douze siècles[1].

Encore de son temps, les moines possèdent des esclaves sous le nom de mortaillables, de mainmortables ou de serfs de la glèbe ; au mont Jura par exemple et dans quelques autres contrées de la France. Au mont Jura, il y a trois régimes d’esclavage. Sous le premier, le serf ne peut disposer de son avoir en faveur de ses enfants que s’ils ont toujours vécu avec lui ; sinon, tout appartient aux moines, et l’on a vu plus d’une fois un fils demander l’aumône devant la maison bâtie par son père. Sous le second, quiconque habite un an et un jour dans le domaine mainmortable devient pour jamais esclave. Sous le troisième régime enfin, c’est l’esclavage à la fois réel et personnel, « ce que la rapacité a jamais inventé de plus exécrable, et ce que n’oseraient pas même imaginer les brigands » (Dict. phil., Biens d’église, XXVII, 372)[2]. Les moines assurent que leur prérogative est de droit divin ; en tout cas, elle répugne à l’humanité[3].

Un an après la mort de Voltaire, parut un édit qui abolissait la mainmorte dans le domaine royal. Le préambule de cet édit engageait tous les possesseurs de mainmortables à imiter l’exemple du roi. Or le clergé, sauf de rares exceptions, n’en fit rien ; et le chapitre de Saint-Claude, que Voltaire avait directement pris à partie, refusa d’affranchir les serfs de ses domaines sans indemnité préalable.

  1. Dict. phil., Esclaves, XXIX, 199.
  2. Outre l’article Biens d’Église, XXVII, 371 sqq., cf. Dict. phil., Esclaves, XXIX, 205 sqq. ; Nouvelle Requéle au Roi, XLVI, 464 ; Coutumes de Franche-Comté, ibid., 410 sqq. ; etc.
  3. Lettre à M. Perret, 28 déc. 1771.