Certes on peut trouver dans son œuvre maintes boutades qui, prises à la lettre, le feraient passer, lui aussi, pour misanthrope. Bien des fois, par exemple, il traite l’homme de fou. « Je m’amuse, écrit-il en parlant de son Essai sur les Mœurs, à parcourir les Petites-Maisons de l’univers » (Lettre à M. Lévesque de Burigny, 10 mai 1757). Et du reste, qui niera que la folie de l’homme ne le rende souvent féroce ? « Il y a des aspects sous lesquels la nature humaine est infernale » (Lettre à M. Pinto, 24 juill. 1762). Aussi ne trouve-t-on dans l’histoire guère moins d’« atrocités » que de « sottises » (Lettre à M. Dupont, 10 mars 1757).
Pourtant Voltaire se garde de calomnier la nature humaine. Il ne pense pas sans doute, avec Jean-Jacques ou Diderot, qu’elle soit foncièrement bonne ; mais, composée de bien et de mal, c’est le bien qui en général y domine. Les germes des vices, inhérents à tous les hommes, ne se développent pas chez tous. On ne saurait prétendre que l’homme soit né méchant ; il le devient parfois comme il devient malade. D’ordinaire, il est plutôt bon quand on ne l’« effarouche » pas[1].
- ↑ Dict. phil., Charité, XXVIII, 15, Méchant, XXXI, 169 sqq. ; Troisième entretien de l’A, B, C, XLV, 32 sqq. ; Pensées, Remarques et Observations, L, 534. — Voltaire a bien des fois dit son mot sur la question. Mais l’article Homme du Dictionnaire philosophique la traite directement et avec suite dans une « section » intitulée L’Homme est-il né méchant ? dont voici les premières lignes : « Ne paraît-il pas démontré que l’homme n’est point né pervers et enfant du diable ? Si telle était sa nature, il commettrait des noirceurs, des barbaries, sitôt qu’il pourrait marcher, etc. Au contraire, il est par toute la terre du
des Pensées, où il ne paraît qu’il attaque l’humanité beaucoup plus cruellement qu’il n’a attaqué les jésuites. »