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RELIGION

rendu jaloux de Rousseau. Selon Condorcet, le Sermon des Cinquante serait le premier ouvrage où Voltaire attaqua de front la religion chrétienne, et il ne l’aurait écrit que pour surpasser Rousseau en hardiesse « comme il le surpassait en génie[1] ». Cette assertion, sur laquelle veulent s’appuyer des critiques modernes[2], ne supporte pas l’examen. D’abord, Voltaire avait déjà fait paraître avant 1762 beaucoup d’ouvrages tout aussi hardis que le Sermon des Cinquante[3] ; ensuite, le Sermon des Cinquante précéda le Vicaire savoyard, et, peut-être, de douze ou quinze ans[4].

Ce qui n’en reste pas moins, c’est que, depuis son établissement à Ferney, il mena la campagne anticatholique avec une nouvelle ardeur et y consacra désormais presque tous ses efforts. De plus en plus il n’écrit que pour agir, et de plus en plus son action est dirigée contre l’Église. Il néglige tout ce qui est purement littéraire ; il se refuse jusqu’au plaisir de rimer des badinages. « Ce n’est pas la peine, dit-il ; le temps est trop cher[5]. » Suivant l’expression d’Helvétius, Voltaire a passé le Rubicon, et le voilà devant Rome[6].

Si l’on veut se faire une idée de la place que tient

  1. Avertissement du Sermon des Cinquante.
  2. Entre autres Brunetière. Cf. Études critiques, t. III, p. 272.
  3. Par exemple, la Défense de milord Bolingbroke, la Lettre de Charles Gouju à ses frères ; quant à l’Extrait des Sentiments de J. Meslier, il en envoyait à Damilaville un exemplaire dès le 4 février 1762.
  4. Cf. Edme Champion, Voltaire, la Date du Sermon des Cinquante, p. 168 sqq.
  5. Lettre à d’Alembert du 8 octobre 1760. À propos d’un rondeau que Voltaire ne prend pas le temps d’achever. Cf. note 1 de la p. 87.
  6. Lettre à Helvétius, 2 janv. 1761.