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VOLTAIRE PHILOSOPHE

pas être martyr[1]. Aussi prend-il toutes les précautions possibles. « Les philosophes doivent rendre la vérité publique et cacher leur personne » (Lettre à Damilaville, 19 sept. 1764). Il regrette qu’Helvétius « ait eu le malheur d’avouer un livre[2] qui l’empêchera d’en faire d’utiles » (Au même, 10 oct. 1762). Il écrit à d’Alembert : « Frappez et cachez votre main. On vous reconnaîtra, je veux bien croire qu’on en ait l’esprit, qu’on ait le nez assez bon ; mais on ne pourra vous convaincre » (7 mai 1761). Et encore : « On m’a dit que vous travaillez à un grand ouvrage ; si vous y mettez votre nom, vous n’oserez pas dire la vérité » (8 mai 1764). Lui-même publie une foule de brochures soit anonymes, soit pseudonymes. Très souvent, il se plaint que « les frères » le signalent comme l’auteur de tel ou tel écrit où sont attaqués le fanatisme et la superstition. Peu importe « de quelle main la vérité vienne, pourvu qu’elle vienne. C’est lui, dit-on, c’est son style, c’est sa manière ; ne le reconnaissez-vous pas ? Ah ! mes frères, quels discours funestes ! Vous devriez au contraire crier dans les carrefours : Ce n’est pas lui ! » (Lettre à d’Alembert, 1er mai 1768)[3].

On veut faire un crime à Voltaire de son « anonymat perpétuel » et de son « pseudonymat obstiné »[4]. Sans doute il se fût montré plus courageux en avouant ses

  1. Lettre à Damilaville du 21 juillet 1764 ; Lettre à d’Argental du 1er avril 1768 ; Lettre à d’Alembert du 24 mai 1769.
  2. De l’Esprit.
  3. Cf. Lettre à Helvétius, 27 oct. 1766 : « Qu’importe l’auteur de l’ouvrage ? Ne voyez-vous pas que le vain plaisir de deviner devient une accusation formelle dont les scélérats abusent ? Vous exposez l’auteur que vous soupçonnez ; vous le livrez à toute la rage des fanatiques ; vous perdez celui que vous voudriez sauver. »
  4. É. Faguet, Dix-huitième siècle, p. 197.