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RELIGION

lisant ses livres. Il craint qu’on ne le poursuive jusqu’au fond de son désert, qu’un décret ne l’oblige de quitter Ferney ; et déjà il s’enquiert d’un asile plus sûr au pays de Clèves[1]. Le 5 février 1768, lorsque vient de paraître le Dîner du comte de Boulainvilliers, il écrit à M. Saurin : « Vous sentez… combien il serait affreux qu’on m’imputât cette brochure… Mon âge, ma santé très dérangée, mes affaires qui le sont aussi, ne me permettent pas de chercher une autre retraite contre la calomnie… Les morts se moquent de la calomnie, mais les vivants peuvent en mourir[2]. » Quelques mois plus tard, le 13 juillet, il écrit à Mme du Deffand : « Les dents et les griffes de la persécution se sont allongées jusque dans ma retraite ; on a voulu empoisonner mes derniers jours. »

Dirons-nous que les appréhensions de Voltaire étaient excessives ? Certains de ses amis, entre autres d’Alembert et Diderot, le trouvent trop prompt à s’alarmer. Mais d’Alembert ne lui en recommande pas moins d’être circonspect ; et, dans une lettre à Mlle Volland, Diderot exprime la crainte que « nos seigneurs » ne laissent jamais le « patriarche » en repos, que, malgré ses protections, malgré ses talents et sa gloire, ils ne « lui jouent quelque mauvais tour » (Lettre du 8 août 1768).

Or Voltaire, qui veut bien être confesseur, ne veut

  1. Cf. Lettre de Frédéric à Voltaire, juill. 1766 ; LXIII, 218.
  2. Cf., même jour, à Mme de Saint-Julien : « Vous me faites beaucoup d’honneur et un mortel chagrin en m’attribuant l’ouvrage de Saint-Hyacinthe… Les soupçons, dans une matière aussi grave, seraient capables de me perdre et de m’arracher au seul asile qui me reste sur la terre dans une vieillesse accablée de maladies. »