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RELIGION

singes » (Lettre à Mme du Deffand, mars 1769 ; LXV, 385)[1].

En maintes occasions, c’est lui qui reproche à ses amis de rire, qui leur en fait honte. D’Alembert par exemple lui avait écrit, après le supplice de La Barre, une lettre dont voici la dernière ligne : « Pour moi, je rirai comme je fais de tout, et je tâcherai que rien ne trouble mon repos et mon bonheur ». Mais Voltaire répond : « Ce n’est plus le temps de plaisanter ; les bons mots ne conviennent point aux massacres » (18 juill. 1766) ; et, quelques jours après : « Non, encore une fois, je ne puis souffrir que vous finissiez votre lettre en disant : Je rirai. Ah !

  1. Cf. Lettre à Damilaville, 19 juill. 1766 : « Le rôle de Democrite est fort bon quand il ne s’agit que des folies humaines ; mais les barbaries font des Héraclites. Je ne crois pas que je puisse rire de longtemps. » — Lettre à M. Gaillard, 2 mars 1769 : « Quand les échafauds sont dressés à Toulouse et à Abbeville, je suis Héraclite ; quand on se saisit d’Avignon, je suis Démocrite. » — Cf. encore cette page peu connue des Questions sur les Miracles : « Il y a des choses dont on ne doit que rire ; il y en a contre lesquelles il faut s’élever avec force. Moquez-vous tant qu’il vous plaira de saint Justin qui a vu la statue de sel en laquelle la femme de Loth fut changée… Riez des miracles de saint Pacôme, que le diable tentait lorsqu’il allait à la selle, et de ceux de saint Grégoire Thaumaturge qui se changea un jour en arbre. Ne faites nul scrupule, en adorant Dieu et en servant le prochain, de vous moquer des superstitions qui avilissent la nature humaine ; riez des sottises ; mais éclatez contre la persécution. L’esprit persécuteur est l’ennemi de tous les hommes ; il mène droit à l’établissement de l’Inquisition, comme le larcin conduit à être voleur de grand chemin. Un voleur ne vous ôte que votre argent ; mais un inquisiteur veut vous ravir jusqu’à vos pensées. Il fouille dans votre âme, il veut y trouver de quoi faire brûler votre corps. J’ai lu ces jours passés dans un livre nouveau [le Catéchisme de l’Honnête homme] qu’il y a un enfer, qu’il est sur la terre, et que ce sont les persécuteurs théologaux qui en sont les diables » (XLII, 259).