exprimer un sentiment, pour rendre un effet, le poète aura besoin de multiplier tantôt les rimes masculines et tantôt les rimes féminines. Devons-nous lui en refuser la licence ? Si, par exemple, les rimes féminines ont quelque chose de moins exprès, de moins arrêté, pourquoi n’en userait-on pas à l’exclusion des masculines, quand on veut évoquer, comme font souvent nos symbolistes, tels objets dont les contours sont mal définis ou tels sentiments vagues ? Les jeunes poètes ne se croient point tenus d’observer la règle d’alternance ; il leur arrive souvent de s’en affranchir.
Il leur arrive aussi, par une réaction légitime contre les parnassiens, d’atténuer la rime. On connaît ces vers de Verlaine :
Oh ! qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime[1] ?
C’est de la rime parnassienne que Verlaine parle ici.
Elle s’accorde soit avec la poésie didactique, soit
avec cette poésie descriptive ou picturale qui exprime
des couleurs nettes et des lignes exactes. Pourtant,
là même, elle a quelque inconvénient. Sa batterie
criarde, qui martèle la fin des vers, nous empêche
de saisir leur harmonie intérieure. Aussi bien, le
« rimeur » n’est qu’un virtuose. Et qu’on n’allègue
pas le mérite de la difficulté vaincue, car, à ce
- ↑ Jadis el Naguère, Art poétique.