mesure qu’on avance, l’alexandrin se libère des règles. Ces règles ne sont pas sans doute arbitraires ; elles maintiennent la symétrie, protègent les poètes médiocres contre leur défaut de sens rythmique. Seulement, la symétrie qu’elles exigent a quelque chose de monotone ; et, imposant aux médiocres poètes une correction d’ailleurs froide, elles empêchent les bons de manifester leur génie propre. Plus il y a de règles et plus les vers du grand poète ressemblent à ceux du rimeur ; plus il y a de règles et moins l’originalité personnelle trouve dans le rythme un moyen d’expression, moins le vers peut se diversifier, s’infléchir, s’approprier à l’idée ou au sentiment. On voit ainsi pourquoi l’alexandrin a peu à peu secoué la discipline classique. Notons d’ailleurs que l’éducation de l’oreille permet de saisir des rapports de plus en plus complexes : certaines formules rythmiques où nous sentons une délicate concordance auraient paru tout à fait discordantes aux contemporains de Boileau. Et enfin, si c’est le romantisme qui, pour la première fois, fit subir au type classique de graves altérations, c’est aussi le romantisme qui inaugura chez nous la poésie personnelle. Aux Malherbe et aux Boileau mettant en vers des lieux communs, il suffit de l’alexandrin classique, excellent pour exprimer les idées générales avec une fixité définitive. Mais le poète qui exprime sa propre âme, qui chante ses joies ou ses tristesses intimes, se créera forcément un vers plus souple dont le rythme puisse rendre ce que le sentiment a d’individuel.
Nous n’étudions pas ici l’évolution du vers alexan-